Teresa ROBLES
Qu’est-ce que la Sagesse Universelle et comment elle est apparue ?
C’est en relation avec ce que je suis, c’est une longue histoire. Cela vient de mes origines académiques, ma formation en anthropologie et même de plus loin : depuis la famille dans laquelle je suis née, avec une maman qui grandit dans un milieu religieux très traditionnel, où tout fonctionnait selon ce que j’ai appelé plus tard la culture de la souffrance, et un papa libéral qui se rebellait contre cela. C’est peut-être à cause de ce mélange que je suis particulièrement sensible à ce que je ressens comme rigidité et que j’y réagis immédiatement. Cela m’a amenée à rompre des paradigmes tout au long de ma vie et à chercher de nouveaux chemins.
C’est peut-être aussi pour cela que j’ai appris que, même si papa et maman étaient si différents extérieurement, au fond ils se ressemblaient beaucoup, ce qui, comme nous le verrons, m’a ouvert la porte pour travailler avec des thèmes universels.
Au début de ma formation d’anthropologue, j’ai eu une expérience qui m’a aussi marquée dans ce sens. J’étais dans la montagne Tarahumara, je devais faire des recherches sur les coutumes alimentaires et je me suis assise en face du canyon del Cobre pour bavarder avec une jeune Tarahumara de mon âge. Il était 10 heures du matin. Au coucher du soleil, mes compagnons, préoccupés, sont venus nous chercher. Je ne me suis jamais rendu compte de ce qui s’est passé pendant tout ce temps, je sais seulement que j’avais une sensation de plénitude et de faire un avec ce canyon. J’ai regardé la jeune fille avec sa jupe fleurie, sa blouse blanche et son foulard, son costume traditionnel. Je portais un jean et des bottes. Et j’ai senti que, si différentes extérieurement, au fond nous étions semblables. C’est la première fois que je me souviens être entrée dans un état de conscience amplifié ou transe hypnotique naturelle, bien que je l’aie sûrement fait bien des fois auparavant puisqu’à la maison on me disait que j’étais « toujours dans la lune ».
Je crois que c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à faire attention aux différences entre les divers groupes amérindiens, les habitants des pays que je visitais, les personnes que je connaissais et à sentir qu’au fond nous étions semblables.
Quand les portes se sont fermées pour moi pour faire un travail de terrain en anthropologie, les portes de la psychologie clinique se sont ouvertes et j’ai pu être à nouveau en contact avec des gens. J’ai eu une longue formation en psychanalyse, car à l’époque c’était la seule chose qui paraissait sérieuse et formelle. La théorie développée par Freud et ses disciples continue à me fasciner, mais je n’ai jamais été capable d’appliquer cette technique, malgré les efforts de mes superviseurs.
Ma première patiente fut une femme mazahua, de la région où j’ai fait mon mémoire de maîtrise en anthropologie. Je parle un peu d’elle dans mon livre Revisando el pasado para construir el futur. Elle a commencé à me parler en métaphores de ce qu’elle vivait, alors j’ai continué à lui parler en métaphores pendant tout le processus de la thérapie. Pour mes superviseurs ce n’était pas bien, mais je ne pouvais pas faire autrement et elle a résolu sa dépression qui l’avait amenée à une tentative de suicide. A ce moment-là, je ne savais pas que je travaillais en communication indirecte et moins encore que cela faisait partie des techniques ericksoniennes que j’allais développer et divulguer.
J’ai commencé à étudier d’autres formes de thérapies brèves, dont la PNL, et j’ai commencé à l’appliquer. J’ai été presque effrayée des changements réalisés par mes patients et en moi. J’ai cherché qui était à l’origine de ces techniques et j’ai assisté au congrès ericksonien organisé par la Fondation Erickson en 1984. Je suis rentrée à Mexico pleine d’idées et, avec ma formation autodidacte – je ne suis pas allée à l’école primaire – , j’ai continué à développer ma propre façon de travailler.
Depuis 1986, j’ai proposé que la relation en psychothérapie soit une relation entre deux experts :la personne qui consulte, experte en elle-même, et le thérapeute, expert en techniques. Tous deux travaillent pour obtenir ce que la personne qui consulte veut obtenir, à son style propre, à son pas, à son rythme, de manière protégée, en économisant temps, efforts et douleur. J’ai intégré la vision de la théorie psychanalytique et de la théorie des systèmes qui nous permettent de comprendre ce qui se passe dans le monde interne des personnes qui nous consultent et dans leurs interactions. Cette même année, j’ai commencé à utiliser la respiration (Robles, 2004) comme métaphore du changement interne salutaire. Peu après, comme une manière de protéger le travail et assurer qu’il se déroule et se termine bien, j’ai proposé d’utiliser ce que j’ai appelé des mots protecteurs (Robles, 2004). Quatre de ces mots sont des adverbes qui en espagnol sont des jeux de mots : « SALUDABLEMENTE » ou esprit salutaire, « AUTOMA-TICAMENTE » ou esprit automatique (l’esprit inconscient), « PROTEGIDAMENTE » ou esprit protecteur, et « COMODAMENTE » ou esprit commode, c’est-à-dire en suivant le principe du Plaisir.
Les deux autres sont des gérondifs (présent en mouvement) : « DISFRUTANDO », en profitant, en suivant le principe du plaisir et en économisant temps, effort et douleur, mais de plus parce que sous-jacente à toute pathologie se trouve la difficulté de se sentir bien ; « APRENDIENDO », en apprenant, qui place le changement dans un processus qui inclut la possibilité de la rechute pour achever d’apprendre ce qui manque et continuer d’avancer.
En 1988, je travaillais avec des patients souffrant de douleur chronique et j’ai su que je devais être opérée de la vésicule biliaire. Il me parut incongru de travailler sur la douleur avec l’hypnose et d’être opérée sous anesthésie, alors j’ai opté pour une anesthésie hypnotique pendant la chirurgie. J’ai invité Jorge Abia à entrer avec moi dans la salle d’opérations (publié dans le n° 10 de Phoenix Editions par P. Bellet).
En 1988, on m’a invitée à diriger quelques ateliers à la clinique de la Fondation et Jeffrey Zeig nous a proposé de créer un Institut Erickson à Mexico. En 2000, le Centre ericksonien de Mexico a été créé. Pendant la période de l’Institut, j’ai continué à développer ma façon de travailler. Pour ne pas encourager une transférence eten accord avec la proposition d’Erickson selon laquelle le changement se produit à l’intérieur des personnes, nous expliquions aux personnes qui nous consultaient que les mérites ou échecs étaient 90 % pour eux et 10 % pour nous. Et chaque fois qu’apparaissait la transférence, nous en parlions comme faisant partie de la vie. J’ai inclus l’anthropologie et la neurologie dans mes théories de référence.
En 1990, dans Concert pour quatre hémisphères en psychothérapie, pour la première fois je fais référence aux trois nœuds qui gênent notre croissance : 1.La perception du monde comme divisé en paires opposées. 2.L’orientation vers la souffrance. 3.La rigidité. A présent, ilme semble que la perception du monde comme divisé en opposés est ce qui provoque la culture de la souffrance et que cette dernière se maintient à travers la rigidité qui impose qu’il n’y ait qu’une seule vérité, une seule manière de faire les choses, d’être bien. Toutes les vidéos d’Erickson qui existent correspondent à l’étape de sa vie où il se trouvait en fauteuil roulant. Sa vue et toutes ses facultés étaient diminuées et il ne pouvait observer les plus petits signes chez ses patients, ni chez les participants aux cours de ses séminaires.Il répétait les mêmes inductions qui, à mon avis, correspondent à des thèmes qui sont universels pour tous les êtres humains. Les participants à ses séminaires commentent que leur vie changea radicalement à partir de ce moment. Il me semble qu’en travaillant avec des thèmes universels il faisait déjà des thérapies de groupe. C’est l’étape de la vie d’Erickson à laquelle je m’identifie et que je suis.
Psychothérapie ericksonienne basée sur la Sagesse Universelle
En novembre 2011, la Fondation Milton H. Erickson m’a donné une reconnaissance pour « toute une vie consacrée à obtenir des contributions de premier ordre dans le domaine de la psychothérapie ». Ce fut la première fois que je me suis rendu compte que je faisais beau-coup de choses différentes. En 2014, j’ai été invitée au Congrès de Thérapies brèves organisé par la même Fondation pour présenter ma « Psychothérapie ericksonienne basée sur laSagesse Universelle » et j’ai dû structurer formellement ce que je faisais pour le présenter. Actuellement, en l’an 2016, je continue à travailler avec la respiration comme mécanisme de changement interne salutaire, avec les mots protecteurs et avec les mêmes théories de base auxquelles j’ai incorporé l’éthologie humaine et la physique quantique. Je peux résumer en disant que cette école de Psychothérapie a les axes suivants :
1.Travail avec des états amplifiés de conscience.
2.Travail avec la Sagesse Universelle.
3.Nouvelles conceptualisations.
4.Orientation vers l’élimination de la souffrance.
5.Travail avec des thèmes universels.
Je considère que l’hypnose ericksonienne ne sont que des exercices pour imaginer, se souvenir et sentir son corps. Quand nous imaginons, nous nous souvenons, sentons, nous sommes dans un état amplifié de conscience. Notre attention est dirigée vers notre intérieur, mais nous continuons d’être en contact avec l’extérieur. Et dans cet état amplifié de conscience, notre cerveau fonctionne de manière différente. La plasticité cérébrale se produit plus facilement. Si tu te souviens de la façon dont les neurones se connectaient entre eux par leur longue patte, l’axone, et les autres petites qui sortent du protoplasme, les dendrites, tu pourras facilement comprendre qu’au cours de la plasticité cérébrale de nouvelles dendrites grandissent, de nouvelles connexions se font, d’autres peuvent se défaire. Cela veut dire que les attitudes, les conduites, les réactions, les émotions qui arrivaient automatiquement, de manière permanente, changent. Pendant la plasticité cérébrale la production des neurotransmetteurs se régule. Les neuro-transmetteurs influencent nos différents états d’esprit. Pour que cela fonctionne, ils doivent entrer dans les neurorécepteurs qui ont leur forme, comme dans ces jeux pour enfants où il faut mettre le triangle dans le trou du triangle, le carré dans celui du carré, et le rond dans le rond, sans quoi ça n’entre pas. Quand nous avons été en tension, par exemple, pendant un long moment, en utilisant l’adrénaline, sans produire les quantités normales des autres neurotransmetteurs, c’est comme si leurs neurorécepteurs s’éteignaient et cessaient de fonctionner. Mais en plus de produire à nouveau des neurotransmetteurs dans la proportion qui correspond au bien-être, pendant la plasticité cérébrale les neurorécepteurs qui étaient comme éteints se rallument et fonctionnent à nouveau.
De plus, pour notre cerveau, ce que nous imaginons est plus fort que ce que lui-même reconnaît comme réalité. La force de l’imagination etla plasticité cérébrale font la force de ces techniques. Nous pouvons résumer en disant que pour moi, le travail du thérapeute ericksonien consiste à aider la personne à imaginer, se souvenir et sentir salutairement et agréablement. Et il fait cela au moyen d’une utilisation du langage créée par le Dr. Erickson, connue comme « conversation hypnotique ».